Amateurs de lecture, Insert Book vous offre sa première estocade dans cet article sur Tara Duncan. Après vous avoir fait découvrir plusieurs bons et très bons livres, faisons un petit tour de l’autre côté de la barrière, là où se trouvent les livres peu recommandables ou simplement moins chanceux au niveau de l’alchimie.
La victime du jour est la série des Tara Duncan. Et l’auteur est triplement malchanceuse d’être tombée sur moi, qui suis à la fois grande amatrice de fantasy, historienne de formation et fan de plusieurs séries TV… Vous comprendrez mieux en cours de lecture.
J’avertis d’ores et déjà que ce dossier contient des SPOILERS.
Et pour ceux qui se demandent si j’ai osé… eh bien oui, j’ai subi lu la totalité de la série, c’est à dire les douze tomes de Tara Duncan.
Fiche technique
Auteur : Sophie Audouin-Mamikonian (auteur française)
Genre : Fantasy
Nombre de tomes : 12
Niveau : Lecteur moyen
Bibliochimie
Si un alchimiste voulait recréer ce livre dans son alambic, quelles oeuvres proches et autres choses pourrait-il utiliser comme ingrédient ?
– Une bonne brassée de clichés fantasy
– Des noms bizarres en veux-tu en voilà
– Quelques références geeks
– Roméo et Juliette sauce guimauve ultra baveuse (pour les amours contrariés)
L’histoire en deux mots
Tara Duncan, élevée par sa grand-mère, croyait être une jeune fille comme les autres, jusqu’au jour où elle se découvre de puissants pouvoirs magiques. Afin d’apprendre à les maîtriser, elle devra partir sur Autremonde, un monde parallèle au nôtre où vivent elfes, nains, fées et toutes autres créatures magiques qu’on croyait ne vivre que dans les contes.
Mais Magister, mystérieux sortcelier dirigeant une bande de renégats, semble prêt à tout pour mettre la main sur la jeune fille…
Ca, c’était pour le début. Classique, mais efficace. Partir d’un cliché n’est jamais un problème si par la suite on sait surprendre le lecteur.
En garde !
L’univers
Autremonde
A première vue, l’idée que les Sortceliers se soient repliés dans un monde parallèle au nôtre est intéressante, même si le nom manque plutôt d’originalité. De plus, l’auteur s’ouvre tout un univers de possibilités, encore multiplié par les possibles interactions avec notre monde. On est donc en droit de s’attendre à du lourd.
L’ennui, c’est que l’auteur, par manque de temps ou d’intérêt, a truffé ce monde d’inventions plus farfelues les unes que les autres, au point qu’il faille inclure à la fin de chaque tome un lexique complet comprenant à la fois les pays, la faune et la flore pour que le lecteur puisse s’y retrouver un peu. Et non seulement les noms foisonnent… mais ils sont le plus souvent issus de jeux de mots un peu trop voyants (Kaillos ou Saltan, pour des saisons) ou simplement d’onomatopées (Blurps, Pouic, etc.). D’ailleurs, je tiens à citer l’exemple le plus affligeant, qui hurle à la face du monde entier qu’il n’a été crée QUE dans le but de faire un jeu de mot : le rominet. Créature indéfinie mais très rapide, qui n’apparaît jamais dans le récit que sous la forme de l’expression “filer aussi vite qu’un rominet” et autres déclinaisons. Vous voyez venir le gag, vous aussi ? Eh bien c’est confirmé dans les notes de bas de page et le lexique, qui expliquent ce qu’est la bestiole : “(…) dès qu’on voit filer du coin de l’oeil une ombre vaguement poilue, on dit : “oh, je crois bien que j’ai vu un rominet“. Eh oui, elle a osé créer une race juste pour ressortir la célèbre phrase de Titi ayant vu arriver Sylvestre (non, le chat ne s’appelle pas Gros Minet, même si on tombe tous dans le panneau quand on est gamins). Franchement, à moins d’avoir un univers en light fantasy déclaré et assumé (pour donner un exemple, c’est le genre littéraire du Donjon de Naheulbeuk), on s’attend à un minimum d’effort de la part de l’auteur au niveau des noms.
Eh oui, première malchance de l’auteur, je m’y connais en fantasy ; du coup mes critères de qualité sont situés plus haut que la moyenne des lecteurs.
Bref, ça part dans tous les sens, ce qui rend la lecture beaucoup moins fluide et moins agréable. Peu de personnes apprécient de devoir interrompre leur lecture toutes les cinq pages pour fouiller dans un lexique afin de pouvoir comprendre ce qui se passe, et encore moins quand lesdits noms semblent avoir été bâclés. Ce n’est pas parce que l’histoire s’adresse à un public d’adolescents qu’il faut absolument que l’univers vire au grand n’importe quoi !
Les races
En plus de nombreuses races tout droit sorties de l’imagination… foisonnante de l’auteur, on retrouve dans les Tara Duncan les races traditionnelles de la fantasy : elfes, nains, dragons, humains, fées, etc. Comme c’est également la tradition parmi les auteurs de fantasy, les races classiques ont été refaites à la sauce de l’écrivain. Par exemple, les nains version Tara Duncan ont la capacité de passer à travers la pierre (sans la fracasser, c’est là toute la différence) et ont tout un répertoire de chants traditionnels très longs et abominables à entendre pour les autres races. Jusque-là, pas de quoi fouetter une chimère. On se prend même à sourire face à ces nains un peu atypiques. (Sourire qui se changera hélas en soupirs au tome onze, lorsqu’on apprendra qu’ils peuvent “(…) ajuster leur taille en fonction du travail qu’ils [ont] à fournir dans les mines“, c’est-à-dire grandir à volonté. Ou comment régler vite-fait mal-fait la différence de taille entre une naine et son petit copain, qui a lui une taille humaine.)
Arrive le tome 3, où l’auteur part complètement en vrille. En effet, on y apprend que les elfes d’Autremonde “(…) sont des marsupiaux. [Les] femmes portent les bébés, mais dès leur naissance, ce sont les pères qui les transportent dans une poche spéciale. Celle-ci apparaît lorsque [leur] compagne est enceinte et disparaît ensuite, tout comme les tétines qui délivrent un complément du lait maternel.”
Alors, que ce soit bien clair, je n’ai rien contre les auteurs de fantasy qui s’amusent avec la race des elfes pour la descendre un peu de son piédestal – je suis une grande amatrice de la saga de Naheulbeuk. Mais quand on en arrive à un tel degré de divagation, ce n’est même plus drôle, c’est juste n’importe quoi. On sent très clairement l’astuce raciale qui ne servait qu’à justifier que ce soit le demi-elfe du groupe qui ait les connaissances nécessaires à s’occuper d’un bébé. Déjà que la séquence où apparaît ce bébé n’apporte strictement rien à l’histoire et se résout pratiquement en un claquement de doigts, utiliser une astuce aussi tirée par les cheveux achève de décrédibiliser toute une race.
Si les elfes sont hélas irrécupérables, on peut saluer une utilisation relativement bien menée des vampyrs, calqués sur un modèle de prédateur. Je tiens à noter tout particulièrement le pouvoir d’attraction spécifique à la race vampyr, appelé “Charisme”. Il s’agit d’une sorte d’aura que les membres de cette race peuvent activer ou réprimer à volonté, et qui charme sa cible ainsi que toutes les personnes alentours – ce qui dissuade très efficacement la proie visée de s’enfuir. Une capacité que je trouve bien utilisée, pour une fois, et qui met la race en valeur au lieu de la plomber. Comme quoi, c’est possible !
L’histoire
Si je vous dit : “C’est une histoire de fantasy qui s’adresse à un public d’adolescents. Le personnage principal découvre un jour qu’il a des pouvoirs magiques. Il part alors dans un château où il apprendra à les maîtriser, sous l’œil bienveillant d’un puissant sorcier à barbe blanche. Mais il existe un groupe de sorciers renégats, qui désirent prendre le pouvoir, et leur chef veut absolument s’emparer du personnage principal de l’histoire. Mais heureusement, le personnage principal est entouré d’une bande d’amis qui peuvent l’aider à déjouer les pièges du chef des méchants, et à la fin ils se font récompenser d’avoir pu sauver tout le monde sans avoir eu besoin des adultes.” C’est un résumé très grossier, mais on pourrait résumer ainsi la plupart des tomes de Tara Duncan. Dites-moi, ça ne vous rappellerait pas une autre saga fantasy pour ado qui a fait un carton juste quelques années avant chez les francophones ?
Si, si, ça ressemble étrangement à l’intrigue de base des Harry Potter !
On ne peut pas parler de repompage de scénario, un cliché reste un cliché et tout le monde a le droit de taper dans les classiques du genre. Mais reste que certaines ressemblances sont presque trop frappantes pour ne pas être voulues. Tara n’apprend pas la magie dans une école, mais le Palais du Lancovit où elle doit aller est un château et on peut y retrouver entre autres un alter-ego de Dumbledore (un vieux et puissant mage à barbe blanche, qui est en fait un dragon sous forme humaine) et un autre de Rogue (un vampyr, mais notre cher professeur des potions avait souvent été comparé à ces créatures). On peut même retrouver les moldus, ou plutôt les “nonsos”, qui sont les humains normaux sans aucun pouvoir magique.
Heureusement, l’intrigue se sépare très clairement de cette base Harry Potter après le premier tome, mais c’est un dommage d’être parti sur des bases si semblables. Avec tout un monde parallèle à disposition, y’avait moyen de faire plus original, et ce dès le départ. D’où déception.
Les personnages
Parmi la multitude de personnages qu’on peut rencontrer dans la série Tara Duncan, on trouve surtout beaucoup de personnages secondaires – tous plus farfelus les uns que les autres – mais je vais plutôt m’attacher à décrire les “héros”, c’est-à-dire la petite bande d’amis que l’on trouve autour de Tara.
Non, je ne m’attarderai pas sur Tara elle-même, qui est trop transparente à mon goût. En effet, il faut attendre le tome douze, donc le dernier tome, pour qu’elle ait enfin une réaction humaine et un tant soit peu “personnalisée”. Ca sentirait presque le personnage laissé volontairement neutre pour que le maximum de lecteurs puissent s’y identifier ; mais ça reste un choix d’écriture valide, bien que je le regrette franchement.
Bref, le Magicgang. Des personnages qui ont le plus souvent beaucoup de potentiel, mais un potentiel mal exploité.
– Fabrice de Besois-Giron : Le meilleur ami de Tara, l’autre Sortcelier terrien qui s’ignorait et qui découvre lui-aussi ses pouvoirs par hasard. Fabrice était un peu effacé par Tara… jusqu’à ce qu’il se transforme en loup-garou (en ce moment, quand c’est pas des vampires, c’est des loups-garous). A croire que les humains, c’est forcément inintéressant. Dommage ! Bien utilisé, il aurait pu devenir beaucoup plus intéressant sans avoir à changer de race. De plus, comme il est celui qui a le moins de puissance magique, il sombre rapidement dans un délire monomaniaque qui le poussera à rechercher le pouvoir par tous les moyens. Très cliché, hélas, et mal exploité.
– Fafnir Forgeafeux : une naine ! Et les naines féminines, version Tara Duncan, ce n’est malheureusement pas très différent du masculin : Fafnir aime la bagarre, forger des armes et beugler des chants nains. D’accord, ça donne un effet comique dont on ne se lasse pas. Mais tout de même, y’avait moyen de trouver plus original, surtout que les nains avaient déjà été revisités. Autant y aller à fond et changer aussi les naines ! Et, hélas, lorsqu’elle tombera amoureuse, elle va devenir d’une insistance au sujet de son copain qui a tendance à plomber la lecture.
– Robin M’Angil : le demi-elfe de l’équipe. En le voyant apparaître, on se dit qu’il a du potentiel : les demi, par leur sang-mêlé, ont toujours un bon potentiel. Malheureusement, ce personnage va être complètement gâché en tombant éperdument amoureux de l’héroïne. Résultat, dès que Tara entre dans son champ de vision, on ne peut plus rien en tirer : c’est tout juste s’il ne la suit pas des yeux en bavant comme une vache fixant un train. Et quand il arrive à aligner deux pensées cohérentes, c’est pour nous resservir l’éternel dilemme “Je l’aime ! Mais je suis demi-elfe, elle est humaine, ça ne marchera jamais !”. On est d’accord, le dilemme était un passage obligé, mais il est traité de manière tellement cliché et superficielle qu’on se demande si l’auteur a vraiment pris la peine de s’y attarder. Bref, vous voyez le tableau. Mais à ce stade, on peut encore espérer qu’il redevienne lucide une fois qu’il aura déclaré sa flamme. Après quatre tomes à tourner autour du pot, Robin réussit (enfin !) à se déclarer, embrasse sa Tara… Et voilà que la tante de Tara débarque pour lui ordonner de ne plus toucher sa nièce et le bannir du royaume dans la foulée. Roméo et Juliette à la sauce Autremonde ! Pitié, les romances pour ados sont déjà souvent niaises, alors si en prime on utilise LE cliché le plus réutilisé… Et évidemment viendront plus tard se greffer une rivale, histoire de faire rager Tara, et des rivaux, histoire de faire bouillir le demi-elfe, mais tous les incidents se résolvent en quelques chapitres sans vraiment apporter à l’histoire. Et au final, que se passe-t-il ? Je vous le donne en mille : le demi-elfe fait tout foirer et ils rompent. Mais évidemment, il réalisera son erreur et tentera tout pour la reconquérir, malgré le fait qu’elle se sorte entre-temps avec un autre. Ou comment faire durer un triangle amoureux ad nauseam (à défaut de nausée, ça m’aura en tout cas bien pesé sur la lecture). Franchement, à lire les livres, on a pitié de ce pauvre Robin : c’est du vrai gâchis de personnage !
– Gloria Daavil, dite Moineau : apparemment, juste une adolescente douce et gentille. Elle devient vite la meilleure amie de Tara. Mais il s’avère que non seulement c’est une princesse, mais en plus elle est une descendante directe de la Belle et la Bête – si, si, les personnages du conte. Et malheureusement, la malédiction familiale a la vie dure, si bien qu’elle peut se transformer en Bête à volonté. Permettre à la plus posée du groupe de devenir à volonté le personnage le plus apte au combat, y’a de l’idée ! Malheureusement, sa timidité ne s’arrange qu’à pas de fourmi et la pauvre se fait régulièrement marcher dessus. Pour rééquilibrer, son côté Bête la pousse parfois dans des crises de violence pratiquement incontrôlables. L’union des deux fait un personnage en dents de scie qui est globalement très sympa mais qui franchement nous laisse sur notre faim.
– Sylver Claquétoile : encore un hybride, arrivé sur le tard car il n’apparaît que dans le tome sept (L’invasion fantôme). Alors cette fois-ci, l’auteur nous offre un hybride humain-dragon… élevé par des nains. Rajoutons à cela que, même sous sa forme humaine, qu’il conserve la plupart du temps, il est recouvert d’écailles minuscules mais tranchantes comme des rasoirs et dures comme de l’adamantium, et que cela le fait briller comme un certain Edward (qui n’a de vampire que le nom). Oh, et j’ai failli oublier de mentionner que, au début, sa nature profonde de dragon – qu’il ignorait bien sûr – le poussait à se changer, lorsqu’il s’endormait, en affreuse bestiole à la tronche de cauchemar, pleine de griffes et de crocs, qui n’avait qu’une idée en tête : satisfaire sa soif de violence en massacrant tout ce qu’elle trouvait de vivant à portée (ça, c’est la description du lycanthrope de base, sous une forme un peu moins poilue et libérée de la lune). Bref, avec un tel patchwork, on se demande sérieusement d’où l’auteur a sorti cette idée, parce que même des dés ne seraient pas cruels à ce point si on s’en servait pour tirer les caractéristiques du personnage – et pourtant, ça peut avoir un humour très noir, un set de dés.
Enfin, dernier mais certainement pas le moindre, le personnage qui réussit envers et contre tout à offrir de l’intérêt au lecteur pendant dix tomes :
– Caliban Dal Salan, dit Cal : s’il faut retenir UN personnage de toute la série des Tara Duncan, c’est Cal. Malin, agile et impertinent, cet adolescent fait partie des Voleur Patentés – en quelque sorte les espions d’Autremonde (enfin, il est encore en cours d’apprentissage). Entre ses dons et son humour, il peut faire face à n’importe quelle situation, et autant prévenir : rien ne l’arrête. Que ce soit une porte fermée, un coffre piégé ou simplement les bonnes manières élémentaires, quand Cal a décidé de faire quelque chose, il le fait ! Caliban est une vraie bouffée de fraîcheur : enfin un personnage dont on exploite le potentiel ! C’est aussi le personnage qui, à mon sens, a le plus de profondeur. Résultat, un personnage très humain et très attachant, dont on ne peut rapidement plus se passer ! Mais à le voir perdu au milieu de tout ce fatras, ça donne une furieuse envie de le signaler à la Société de Protection des Personnages de Roman pour qu’il soit mis sous tutelle. Ca, c’est jusqu’au tome neuf, où le malheureux tombe amoureux… de Tara. Hélas. Heureusement qu’il est parti avec un haut potentiel bien exploité, parce que le pauvre perd régulièrement de ses facultés cognitives dès qu’il est question de sa chérie, mais il réussit à rester sympathique jusqu’à la fin.
Un dernier pour la route
Les formules magiques : déjà que les différents sortilèges se terminent quasiment tous en ” us” pour leur donner une pseudo-consonance latine (Transmitus, Séchus, etc), était-ce vraiment nécessaire de les mettre en rimes et de leur donner des tournures aussi ridicules ? Un exemple sorti du tome 5 (le continent interdit), où Cal veut lancer un sort d’illusion pour que Tara prenne l’apparence de son amie Betty :
“Par l’Illusius, incanta Cal, que Tara de Betty soit l’image, ce sera plus sage“
A se demander comment font les Sortceliers pour ne pas éclater de rire avant de finir leurs formules.
Le style
Le niveau de langage
L’une des première chose qui m’a titillé dans cette série, c’est le niveau de langage, tant de l’auteur dans sa narration que des personnages. Tous les personnages parlent avec un niveau de langage semblable, autant les adultes que les adolescents, comme si l’univers entier de l’auteur était bloqué dans le registre familier. A quelques exceptions près (comme Sylver, dans “Tara Duncan et l’invasion fantôme”, qui parle comme un chevalier du Moyen-Âge), tous les personnages s’expriment de la même manière, et c’est la plupart du temps à leurs tics de langage qu’on va réellement pouvoir dire qui est en train de parler. Pour les adolescents, on pourrait encore comprendre, car c’est effectivement un âge où l’on affirme son appartenance à certains groupes, notamment par le biais du langage.
Par contre, avec les adultes, ça passe tout de suite moins. Et encore moins avec le grand méchant de l’histoire. Magister a pourtant l’honneur de scènes relativement flatteuses, mettant en valeur le fait qu’il a une certaine classe, et possède quelques traits de caractère qui feraient presque frémir. Seulement voilà, quand Monsieur le Grand Méchant se fait démasquer au terme d’une imposture qui a tout de même tenu tout un tome, et qu’il nous lâche “et chiotte” … ça casse et l’ambiance, et le personnage. (Lui-aussi, d’ailleurs, il faudrait le mettre sous tutelle, ce pauvre Magister).
Et je ne vous parle même pas des “super” qui fleurissent toutes les deux phrases dans les parties du narrateur. “Super-beau”, “super-raisonnable”, etc. La première fois on rit, mais au bout d’un moment – pour moi ça se situait grosso-modo au quart d’un tome, dans mes bons jours – sérieusement, on sature.
Les notes de bas de page
Traditionnellement, dans un roman, les notes de bas de page servent à donner de courtes explications sur un mot, plus rarement un point de l’histoire ; et de principe, elles sont peu nombreuses – excepté dans les romans de Jonathan Stroud, qui s’en sert pour traduire visuellement la capacité d’un de ses personnages de penser sur plusieurs niveaux, mais je digresse.
Dans les Tara Duncan, les notes de bas de pages ne sont rien de cela : non seulement elles foisonnent au point qu’on croirait que l’auteur essaie d’y planquer toute une histoire parallèle, mais en plus elles s’étalent, parfois sur plusieurs pages pour une seule note ! Sachant qu’il y a déjà tout un lexique en fin de tome, les Tara Duncan seraient-ils si compliqués qu’on a besoin d’autant d’explications ? Même pas ! C’est juste que l’auteur les utilise la plupart du temps comme une excuse pour discuter avec ses lecteurs. Bon, le style blog d’ado où ta meilleure amie te fait plein de commentaires, déjà, c’est crispant. Mais s’il n’y avait que cela, ça passerait encore. Sauf qu’en plus de ça, l’auteur utilise également les notes de bas de page pour se trouver des excuses, à la fois pour ses néologismes et pour certaines erreurs qu’elle a laissé passer dans les tomes précédents. Sérieusement : quand on a fait une bourde, on fait éventuellement un erratum en début ou fin de volume, mais on fait face. Plus on se cherche d’excuses, plus on perd en crédibilité. Donc, quand on se plante, on assume, et on n’inflige pas au lecteur une note de bas de page inutile en essayant de se justifier sur quatre ou cinq lignes.
Malgré tout, il arrive également de trouver des notes de bas de page “classiques”, qui servent à expliquer un mot qui ne sort pas de l’univers des Tara Duncan. Et là, je n’ai qu’une chose à dire : quand on ne sait pas ouvrir un dictionnaire, on n’essaie pas d’apprendre l’étymologie aux jeunes ! Je m’explique : dans le tome cinq (le continent interdit), le mot palefroi est utilisé, et l’auteur en profite pour mettre une note de bas de page commençant par “Hop, un peu d’étymologie, histoire d’épater les copains (et les profs!)”. Jolie intention, mais le professeur va renvoyer l’élève bûcher son vocabulaire aussi sec s’il vient dire que “palefroi” est “le nom des chevaux en vieux français“.
Second manque de chance de l’auteur, je suis historienne de formation, avec une nette prédilection pour la période médiévale.
Donc, arrachons tout de suite la mauvaise herbe à la racine : non, “palefroi”, ce n’est pas le nom des chevaux en vieux français, surtout que l’emploi du mot “cheval” est attesté depuis le XIe siècle. “Palefroi”, c’est un cheval de parade ou de marche, donc un type de cheval (type qui s’oppose au “destrier”, qui est, lui, un cheval de bataille). Et ces informations, n’importe quel dictionnaire vous le confirme – à noter que le mien date de 1994, et qu’il est de fait largement plus vieux que le tome de Tara Duncan incriminé, l’information n’est donc pas nouvelle. Par pitié, quand on s’adresse à un public jeunesse, on vérifie plutôt trois fois qu’une avant d’écrire quelque chose qu’on affirme être exact. Parce que pour les jeunes – et aussi pour la plupart des adultes d’ailleurs – si c’est écrit dans un livre, ç’a été vérifié, donc c’est digne de confiance. Alors, nous sommes d’accord, il s’agit d’un roman et pas d’un traité d’histoire, mais ça n’empêche pas de faire les choses correctement.
Les séries-tv
Autre manie énervante, celle d’avoir utilisé le prétexte que l’héroïne soit une adolescente humaine – et que le public-cible soit justement les ados – pour citer des séries tv à tout va. D’accord, les séries sont à la mode, et ça peut donner des comparaisons intéressantes. Mais à condition d’être bien fait. Ce qui est loin d’être le cas !
Dans le tome 6 (Tara Duncan dans le piège de Magister), l’auteur dit dans une note de bas de page, après avoir cité une énième fois la série Stargate SG-1, qu’elle voue un culte à deux des personnages. Une affirmation qu’on peut remettre d’emblée en question quand on remarque que les noms des deux personnages sont mal orthographiés ! Et si encore il s’agissait de personnages secondaires, mais non, il s’agit de Jack O’Neill et de Teal’c, deux des personnages principaux, qui se font respectivement écorcher “O’Neil” et “T’ealc“. Sachant que ce cher colonel n’hésite pas à préciser plusieurs fois au cours de la série que son patronyme s’écrit avec deux l, on frise le ridicule.
Troisième manque de bol, Madame Audouin-Mamikonian, je suis moi-même fan de cette série, et accessoirement maître de jeu pour sa version jeu de rôle papier ! Donc, je m’y connais.
L’auteur ajoute d’ailleurs l’insulte à l’offense en écorchant le nom de la race ennemie honnie qui revient dans TOUTE la série. Le premier fan venu saura vous dire que ça s’écrit “Goa’uld” (avec “une apostrophe après le a, juste avant le u” pour citer O’Neill) et non pas “Go’ahuld” (“Tara Duncan et l’invasion fantôme” et “La guerre des planètes”), ni “Goaul’d” (Tara Duncan dans le piège de Magister). Et non, ce n’est pas une confusion avec l’orthographe américaine d’origine, vu que ça s’écrit aussi “Goa’uld”. Comme apparemment notre auteur ne souffre pas de dyslexie, ce qui aurait pu la sauver (et encore, là c’est le correcteur qui aurait mérité qu’on lui tape sur les doigts pour avoir bâclé le boulot), je me permets de dire que quand on se dit fan, on se renseigne avant d’écrire n’importe quoi ! Là on fait plus que friser le ridicule, on lui a carrément offert un relooking…
Et le coup de grâce
Les descriptions des personnages. Déjà les personnages principaux sont tous beaux, dans cette série – enfin, Magister portant un masque, on ne peut pas en être sûr pour Monsieur le Grand Méchant. Vous me direz, quand on a la capacité d’utiliser la magie, forcément qu’on va s’en servir pour s’embellir au passage. Sur ce point, je suis parfaitement d’accord. Mais il y a la manière de le présenter. Les descriptions s’attardent volontairement sur les passages qui font baver ces jeunes demoiselles et messieurs, au point où on a envie de dire que c’est juste pour l’audimat – avant de se rappeler qu’il s’agit d’un livre et que cela ne s’applique pas. Bon, ça fait lever les yeux au ciel, mais ça resterait supportable si c’était juste une fois. Mais hélas non. Chaque nouveau personnage secondaire arrivant devient une excuse pour revenir sur les descriptions et souligner encore, et encore, à quel point les personnages sont beaux. Même des dialogues se voulant sérieux ou un brin psychologiques se retrouvent à moitié cassés par quelques lignes qui viennent – encore – rappeler la plastique parfaite des personnages, au cas-où on aurait oublié depuis le chapitre d’avant… Donc soit les personnages ont un besoin maladif qu’on reconnaisse leur beauté, soit on prend les lecteurs pour des poissons rouges avec un sacré problème de mémoire.
Avis de la Rédac’
Tara Duncan, selon certains critiques, était censée être “la petite sœur française de Harry Potter”. Eh bien la série est loin de faire honneur à cette élogieuse critique. Il y a de bonnes idées et plusieurs personnages ont du potentiel, mais ils ne sont malheureusement pas ou mal exploités. L’univers de Tara Duncan se résume à un foisonnement d’idées ajoutées les unes derrière les autres sans ordre, donnant au final un fouillis sans nom dans lequel le lecteur se perd. De plus, j’ai rarement lu une série où l’auteur met autant d’application à s’auto-torpiller, à croire que chaque bonne idée doit être au plus vite sabordée et coulée pour éviter de trop faire remarquer que le reste est d’un niveau très moyen.
Bref, une série qui se voulait certainement être de la light fantasy (pour ceux qui ont oublié, il s’agit de fantasy comique), mais à l’humour très mal dosé – à part dans le cas de Cal, l’exception qui confirme la règle, qui lui est vraiment drôle – et qui fait qu’au final on s’en lasse très vite.
Donc, encore heureux que j’ai emprunté les tomes de cette série à la bibliothèque, ça leur évitera de finir en pâtée pour le monstre qui vit dans les Abysses de Geek-it (affectueusement surnommé “Lui”).
6 commentaires
Daraven · 14 juillet 2015 à 11 h 15 min
A trop voiloir produire une oeuvre tout public, on finit manlehureusement par faire du préformaté sans saveur. Dommage d’en arriver là, je suis certain que l’auteur aurait pu faire bien mieux si elle s’était donné de la peine. Encore que, elle au moins, elle a été publiée…
Mikaua · 14 juillet 2015 à 14 h 16 min
C’est bien ça le pire avec cette série : voir les petits morceaux de bonnes choses qui auraient pu faire un tout franchement bon s’ils avaient été correctement exploités.
Flamme · 13 juin 2015 à 20 h 05 min
Hey ben! Moi qui hésitais à les lire ^^’ je crois que je vais pas tenter hein XD
Mikaua · 13 juin 2015 à 20 h 34 min
Eh, Flamme ! Ca fait plaisir de voir que tu viens nous commenter ^^
Effectivement, la lecture de cette série se fait à ses risques et périls.
Flamme · 13 juin 2015 à 20 h 41 min
Je vois ça! Rien que le fait que ça cause de super toute les deux seconde ça fait pas envie ^^’ hey faut qu’on se revoit bientôt!
bloup · 13 juin 2015 à 11 h 51 min
j’aime :DDD