Unique œuvre de fantasy du maître de la science-fiction John Brunner, le Voyageur en noir nous raconte une réflexion sur la folie humaine sous la forme de l’éternelle lutte entre le Chaos et l’Ordre. Un conte moral au protagoniste des plus mystérieux.
Fiche technique
- Auteurs : John Brunner
- Titre : Le voyageur en noir
- Anciennement paru sous le titre : Le passager de la nuit
- Titre original : The compleat traveller in black
- Genre : Fantasy, Conte moral
- Editeur francophone : Mnémos
- Nombre de pages: 253
- Année de parution : 2024 (1ère parution 1971 et 1986)
- Niveau : Bon lecteur
Bibliochimie
Si un alchimiste voulait recréer ce livre dans son alambic, quelles choses pourrait-il utiliser comme ingrédient ?
– L’unique incursion en fantasy d’un maître de la science-fiction
– Une ambiance onirique et déroutante, mais emplie d’un certain fatalisme
– Une partie des codes des contes
A quoi s'attendre ?
Le monde originel était en proie au Chaos : la magie se trouvait partout, les élémentaux déchaînaient leur puissance selon leur bon plaisir. Mais l’Ordre est venu, avec ses lois, et ces deux états du monde se sont longtemps affrontés. Aujourd’hui, il semble que la balance penche de plus en plus en faveur de l’Ordre, menant doucement l’humanité vers un nouvel âge de rationalité.
A chaque conjonction favorable, un mystérieux individu vêtu de noir, muni d’un bâton de lumière, se met en route et parcourt les chemins. Sa tâche, immuable, est de remplacer le Chaos par l’Ordre, d’amener le monde vers une ère où la nature chaque chose sera unique. Pour cela, s’il doit respecter certaines lois qui ne s’appliquent pas au commun des mortels, il est toutefois capable de réaliser les vœux exprimés en sa présence.
Mais gare à celui ou celle qui s’y essaie, car, souvent, on ne réfléchit pas assez aux conséquences, et les vœux ont souvent plus d’une interprétation.
Réflexions sur la folie humaine
Avant de devenir un classique du genre de la fantasy, l’affrontement du Chaos et l’Ordre avait une signification toute particulière pour les auteurs des années ’60, encore largement marqués par la Seconde Guerre Mondiale, et cela s’est traduit différemment chez chaque auteur.
Chez Brunner, le Chaos est l’irrationalité, ainsi que les sombres profondeurs de l’esprit humain, d’où peuvent naître les dérives, la folie et les horreurs qui menacent la civilisation humaine. Et dans le Voyageur en noir, c’est cette incarnation de l’irrationalité que son protagoniste va venir petit à petit déconstruire.
Les humains eux-mêmes sont montrés capables d’aller dans les deux sens : ils peuvent aussi bien résister au Chaos grâce à leur bon sens que de céder à leurs plus bas instincts, et ainsi au Chaos. Et tout n’est pas figé, car des modèles d’Ordre peuvent régresser dans le Chaos, ou inversement. Exactement comme la nature humaine, qui n’est jamais vraiment figée.
On notera d’ailleurs que le Voyageur ne déconstruit pas les manifestations du Chaos lui-même : par exemple, il enferme les élémentaux, mais ne les détruit pas. C’est en amenant les humains vers l’Ordre que leur environnement va alors changer de lui-même. C’est donc bien l’attitude des humains face à l’irrationnel qui est ici en jeu plus que l’irrationnel lui-même.
Avis de la Rédac'
Mikaua : Autant les amateurs de contes que les rôlistes ayant eu un jour un maître de jeu un tant soit peu taquin vous le diront : il faut se méfier des vœux que l’on fait. Et le Voyageur en noir le prouvera à mainte reprises. Son protagoniste pouvant – voire même devant – exaucer les souhaits qui sont énoncés devant lui, il prendra un malin plaisir à mettre le nez des humains dans leur propre bêtise et prouver que mieux vaut bien réfléchir à ce que l’on souhaite, car il y a parfois de nombreuses manières d’interpréter un vœu et que les résultats ne sont parfois pas ceux qu’on imaginait. Roman de fantasy dont le personnage principal a pour but final d’éliminer la magie – issue du Chaos – , le Voyageur en noir a des accents de fin du monde dans son ambiance : on sent approcher la fin d’une époque, et le protagoniste se fera d’ailleurs quelques réflexions à ce sujet. Mais si on sent un certain fatalisme face à cette fin inéluctable, elle amène du bon comme du mauvais. Si les menaces magiques vont disparaître, le monde que décrit le Voyageur, où le temps s’arrêtera, sonne comme figé et, peut-être un peu morne, une fois dépouillé de tout son merveilleux. On se surprend alors à méditer la question lors de la lecture, et c’est très intéressant. Côté style, on a vraiment affaire à un conte, et non une aventure. Le temps passe par à-coups, l’auteur se permettant parfois de belles ellipses narratives pour mieux s’étendre sur les scènes qui l’intéressent. Et énormément de choses sont simplement à prendre telles qu’elles sont et ne seront jamais expliquées. Ca donne parfois une impression bizarre à la lecture quand on est habitué à une fantasy un peu plus détaillée mais on s’y fait vite pour se caler sur l’atmosphère onirique – chaotique ? – de ce conte. Un espèce d’ovni que le Voyageur en noir, que j’ai apprécié de découvrir mais que je recommanderais plutôt aux bons lecteurs et aux amateurs de vieille fantasy.
Sources
– Le livre lui-même
– Le site de l’éditeur
0 commentaire